Réponses pour article "Réflexion autour LCA non opéré F. LE GALL"


Rupture LCA chez un Footballeur Pro SEFET SUSIC– Red Star

Réponse-Analyse du Dr MORIN SALVO

Réponses pour écriture article "Réflexion autour LCA non opéré F. LE GALL"

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Au mercato de l'intersaison 1991-1992, le Red Star voit l’arrivée de l'ex-vedette yougoslave du PSG Safet Susic, à 37 ans, donc en fin de carrière. Le joueur signe pour une saison après avoir encore brillé lors du dernier mondial de 1990 en Italie (il était encore le capitaine de la dernière sélection). Il s'agit alors du plus gros transfert et, par conséquent, du plus gros salaire de D2 (Ligue 2 de l’époque).

Au stade Bauer, des ex-fans du PSG garnissaient nos vieilles tribunes avec des banderoles « SUSIC IS MAGIC » !

Après le traditionnel stage de préparation, nous commençons le championnat en août par un déplacement à Angers pour affronter le SCO, l’un des favoris pour la montée en D1. Très vite, l'artiste nous montre toutes les facettes de son talent et ouvre la marque d'un but dont il avait le secret. À l'heure de jeu, alors que le Red Star mène toujours 1-0, soudain, sur un duel anodin, sans contact, en pivotant sur son genou, le maestro s'effondre et ne se relève pas. Je rentre sur le terrain à la demande de l'arbitre et, très vite, la description du joueur à l'accent slave me fait évoquer une entorse grave du genou (« Je suis parti à droite sans le ballon et mon genou est allé à gauche ! »). Un rapide examen à chaud me montre, malgré ses grosses cuisses, un signe de Lachman positif avec un arrêt mou (mon expérience de terrain m'apprendra que ce signe ne se retrouve que presque toujours immédiatement après un tel traumatisme lorsque les muscles n'ont pas eu le temps de « s'enraidir »). Safet sort du terrain et, ce jour-là, nous perdrons finalement 2-1.

Après le traitement d'urgence (protocole RICE, traitements médicamenteux antalgiques et AINS), je suis harcelé dès le lendemain par le club et son président pour faire vite, car il s'agit d'un joueur « clé » !

Après la réalisation d'une IRM en urgence qui confirme le diagnostic de rupture du pivot central, je me rapproche du chirurgien référent du PSG de l'époque, le professeur Jacques Witwoet – que je connaissais pour l'avoir eu comme « patron », en stage de chirurgie orthopédique à l’hôpital Saint-Louis à Paris – pour un rendez-vous rapide. J'ai pu alors reconnaître toute la sagesse d'un ancien maître : « 37 ans, fin de carrière, contrat onéreux pour le club, KT 1000 (le Genourob n'existait pas à l'époque !) montrant peu de tiroir antérieur sur une rupture isolée du LCAE, je vous conseille un traitement fonctionnel car, si je l'opère, avec la rééducation, vous ne le récupérerez qu'en fin de saison. » Le raisonnement médico-économique fait déjà autorité ! Pendant trois mois, nous le prenons en charge en rééducation après que les troubles trophiques ont disparu, avec un programme de renforcement musculaire proprioceptif et dynamique sur Cybex (les premiers dynamomètres isocinétiques) pour un travail en mode concentrique puis excentrique du couple IJ/Q.

Nous parvenons à un retour sur le terrain en novembre, et la récupération fonctionnelle est telle que l’entraîneur de l'époque (Michel Rouquette) l'inscrit sur la feuille de match comme remplaçant pour un match décisif contre le Brest Armorique du président Yvinec.

Nous sommes menés 3-1 à 30 minutes de la fin du match, et l’entraîneur me lance sur le banc : « Doc, je dois faire rentrer Safet avec Nacer [Bouiche, l'international algérien)]. Dis-moi si son genou va tenir 30 minutes ? ». Je réponds alors, sans être convaincu de ma réponse : « Oui, ça ira », mais avec un ton de certitude… Les deux attaquants rentrent, tout se passe bien pour Safet qui marque sur coup de pied arrêté et donne le but de l'égalisation à « l'aigle de Tizi Ouzou » – c'est ainsi qu'était surnommé le Kabyle en Algérie –, encore d'un magnifique coup de tête (il avait une détente verticale de 81 centimètres !).

C’est ainsi que « Papé » (c'était le surnom de Safet Susic au PSG) a pu terminer sa carrière au Red Star.  

 

Questions : 

1 – Penses-tu que l’on pourrait avoir la même gestion de ce dossier aujourd’hui ?

2 – Quels sont les critères qui te font choisir un traitement fonctionnel en cas de rupture du LCAE ? (L’âge, le type de pratique sportive, le niveau, la rupture partielle ou non, une lésion méniscale associée … ?)

3 – Le Genourob n’existait pas à l’époque. Quelle est sa place aujourd’hui dans ta prise de décision avant chirurgie ? 

4 – Quel avenir imagines-tu pour un genou comme celui-ci, rupture isolée du LCAE non opérée à 37 ans ?

 

 

Franck voici mes réponses à tes questions et mon analyse

Amitiés Nicolas MORIN SALVO

 

 

1 – Penses-tu que l’on pourrait avoir la même gestion de ce dossier aujourd’hui ?

Si nous considérons que la rupture du LCA de Safet Susic était une rupture partielle ou totale mais de faible laxité antérieure et sans ressaut rotatoire au testing chez un Footballeur en dernière année de carrière sportive j’aurais eu la même attitude que le Professeur Jacques Witwoet et après information éclairée exposée au joueur j’aurais préconisé une abstention chirurgicale, un traitement conservateur et une surveillance médicale.

En effet après une reconstruction du LCA je recommande une reprise des sports pivots et contacts autour du 9em mois post-opératoire non seulement en regard des étapes biologiques de la Ligamentisation 1,2,3 mais aussi selon l’acquisition des objectifs physiques, athlétiques et psychologiques que j’expose ci-dessous. Le facteur temps n’est donc plus le seul paramètre à prendre en compte. Cependant dans tous les cas de figure même chez un sportif professionnel qui bénéficiera d’une rééducation plus poussée et atteindra les objectifs physiques, athlétiques et psychologiques plus rapidement que la population générale je ne préconise pas un retour au jeu avant le 6em mois post-opératoire.

De ce fait sur ce point-là je suis totalement en accord avec le Professeur Witwoet qui avait considéré que s’il avait opéré Safet Susic sa saison footballistique eut été perdue. Pour rappel les protocoles de Réhabilitation Rapide après Reconstruction du LCA édités après les travaux de Shelbourne et son article princeps 4 de 1992 n’étaient pas encore connus en 1991 et à l’époque c’était encore avec beaucoup de prudence, de sagesse et de raison que le retour aux sports puis à la compétition était envisagé. De nos jours beaucoup s’accordent sur un retour au sport pivots-contacts moins rapide que la tendance prise dans les années 2000 des suites des travaux de Shelbourne.

Selon la définition consensuelle du « Retour Sécure au Sport et au Jeu » (Safe Return To Sport and Play) pouvant être défini comme la capacité de jouer un match de compétition au niveau pré-blessure 5, et se fondant sur la littérature scientifique 6,7,8 je considère mon patient comme éligible à la compétition (Safe Return To Sport and Play) si l’ensemble des paramètres suivants sont validés (graphe 1) :

 

  1. a) Délai post-opératoire : 9 mois,
  2. b) Tests Isocinétiques : Force Musculaire Quadriciptale et des Ischio-Jambiers supérieure ou égale à 90 % de celles du membre sain,
  3. c) Tests Fonctionnels et de Performances Athlétiques :

_ Batteries de Test de Sauts > 90% (single hop for distance, triple hop for distance, crossover hop for distance, 6 meters timed hop),

_ Modified Illinois Change of Direction Test (MICODT) < 12,5 secondes,

   4. d) Tests Psychologiques : score ACL-RSI > 76%.

 

Graphe 1 : Arbre décisionnel « Retour Sécure au Sport et au Jeu »

 

Cependant le choix fait en 1991 de laisser finir la saison au joueur Safet Susic atteint d’une rupture du LCA était risqué 9,10 (dans cet article nous ne pouvons pas connaitre la sévérité de la rupture (partielle ou totale) car nous ne disposons pas des valeurs absolues et différentielles du tiroir antérieur du KT1000 qui ne sont pas communiquées, le rapport de l’IRM initial est trop peu détaillé et il n’a pas non plus été faite d’IRM de contrôle).

Cette décision du traitement conservateur (à moins d’une rupture partielle du LCA11) n’est appréhendable que par le fait que ce footballeur n’avait qu’une seule année de contrat et qu’il comptait finir sa carrière sportive à la fin de cette saison. Car dans le cas contraire s’eut été un pari risqué ; je vous renvoie pour cela aux excellents articles de Ilio et al.9 publié en 2021 « Early return to sport to continue the season after anterior cruciate ligament injury is not recommended for students athletes » et Takata et al.10 «Conscious performance and arthroscopic findings in athletes with ACL injuries treated via conservative therapy during the competitive season ».

Ces articles montrent que chez les sportifs de haut niveau non opérés d’une rupture aigue du LCA et traités fonctionnellement dans le but de finir la saison, le retour à la compétition est généralement possible et se fait vers le 4emmois cependant il est clairement démontré une baisse des performances sportives, une augmentation significative de lésions méniscales et cartilagineuses secondaires se développant en l’espace même d’une saison, 70 à 95% des athlètes ressentiront une instabilité avec des épisodes de dérobements et 35% des athlètes ne finiront pas la saison (instabilité trop conséquente, blocage méniscale,…).

 

 

2 – Quels sont les critères qui te font choisir un traitement fonctionnel en cas de rupture du LCAE ? (L’âge, le type de pratique sportive, le niveau, la rupture partielle ou non, une lésion méniscale associée … ?)

Bien entendu dans le choix d’un traitement conservateur ou chirurgical d’une rupture du LCA l’ensemble des facteurs suivants rentrent en compte : L’âge, le type de pratique sportive, le niveau sportif, la rupture partielle ou totale, l’existence ou non de lésions méniscales ou cartilagineuses concomitantes.

Cependant pour moi les 2 paramètres majeurs à rechercher à l’examen clinique sont : dès l’interrogatoire le sentiment d’une instabilité fonctionnelle objectivement ressentie par le patient et au testing clinique la reproduction d’une instabilité rotatoire associée (association Lachman positif + Ressaut rotatoire). Un lésion méniscale traumatique aigue ou secondaire (racine méniscale, lésion longitudinale, anse de sceau, ramp lésion…) imposera une reconstruction ligamentaire et une réparation méniscale.

Au vu de l’évolution arthrogêne par développement secondaire de lésions méniscales et cartilagineuses reconnue depuis fort longtemps (Neyret et al 12,13 JBJS 1993, AJSM 1993…) dans les suites des instabilités antérieures par rupture du LCA je suis interventionniste et recommande la reconstruction ligamentaire d’autant plus que je sujet est jeune et sportif.

Concernant les ruptures partielles du LCA : si le patient ne ressent pas d’instabilité fonctionnelle après la phase rééducative bien conduite, si je ne retrouve qu’une laxité antérieure faible (Lachman Arrêt Dur Retardé), une absence de ressaut rotatoire (negative Pivot Shift Test), et que la Laximétrie GNRB est < 3mm, je préconise la poursuite du traitement fonctionnel et la surveillance médicale mais si le patient se plaint au cours de la surveillance médicale de l’apparition d’une instabilité fonctionnelle ou si nous dépistons l’aggravation notable des autres paramètres cliniques ou enfin l’apparition d’une lésion méniscale je recommande au patient une reconstruction ligamentaire sélective monofaisceau  du faisceau Antéro-Médial ou Postéro-latéral rompu (et une réparation méniscale si présente bien entendu…).

Ci-dessous « mon » arbre décisionnel de prise en charge des Ruptures partielles du LCA (graphe 2).

 

Graphe 2 : Arbre décisionnel-algorithme des Ruptures Partielles du LCA

 

3 – Le Genourob n’existait pas à l’époque. Quelle est sa place aujourd’hui dans ta prise de décision avant chirurgie ? 

Comme nous venons de le voir la laximétrie instrumentale GNRB prend place dans mon évaluation initiale, dans mon suivi d’un genou non opéré et après reconstruction ligamentaire en comparaison des valeurs pré-opératoires.

Cependant si le GNRB comme toutes autres laximétries instrumentales (KT1000, Telos, Rolimeter) est une aide au diagnostic parfois difficiles des ruptures partielles, et plus généralement au suivi des genoux opérés ou non opérés, il n’en reste pas moins que c’est l’Examen Clinique (interrogatoire, testing ligamentaire) qui reste primordial à chaque étape de la prise en charge : diagnostic, décision thérapeutique, suivi.

Concernant le mode Rotab du Genourob je ne l’utilise pas pour 2 principales raisons :1) car il n’est pas clairement défini dans la littérature les valeurs seuils pathologiques d’un excès de rotation tibiale interne relatif à un rupture du faisceau postéro-latéral du LCA, une rupture totale du LCA isolée ou associée à une rupture du Ligament Antéro-Latéral ou à une lésion méniscale, 2) car les mesures des rotations faites par le Rotab sont des mesures statiques à un degré de flexion du genou donnée or le Pivot-Shift Test clinique démasque et grade les instabilités rotatoires en phase dynamique. _ Enfin les coûts d’acquisition supplémentaire du module Rotab du GNRB en limite sa diffusion et son accès.

 

 

4 – Quel avenir imagines-tu pour un genou comme celui-ci, rupture isolée du LCAE non opérée à 37 ans ?

Tout comme nous venons de le voir de multiples facteurs rentrent en compte dans la décision thérapeutique d’une rupture du LCA. Ces mêmes facteurs (âge, terrain, surcharge pondérale, sédentarité, type de sport, niveau sportif et intensité, lésions méniscales ou cartilagineuses concomitantes, instabilité fonctionnelle objectivée, importance de la laxité clinique et instrumentale, …) influeront sur son évolution opérée ou non.  

Mais l’évolution naturelle d’une rupture du LCA à fortiori chez un patient sportif est l’apparition de lésions méniscales et cartilagineuses secondaires puis le développement d’une arthrose dite gonarthrose post-instabilité12,13,14

 

 

Je te remercie Franck de m’avoir sollicité !

Amitiés

Nicolas

 

 

 Quelques Références Bibliographiques … :

1) Scheffler SU, Unterhauser FN, Weiler A. Graft remodeling and ligamentization after cruciate ligament reconstruction. KSSTA. 2008 sept;16(9):834-42

2) Claes S, Verdonk P, Forsyth R, Bellemans J. The “Ligamentization” process after anterior cruciate ligament reconstruction. What happens to the human graft? The literature review. Am J Sports Med. 2011 Nov;39(11):2476-83. 

3) Muller B, Bowman KF Jr, Bedi A. ACL graft healing and biologics. Clin Sports Med. 2013 Jan;32(1):93-109.

4) Shelbourne KD, Nitz P. Accelerated rehabilitation after anterior cruciate ligament surgery. J Orthop Sports Phys Ther. 1992;15(6):256-64.

5) Ardern et al. 2016 consensus statement on return to sport from the first world congress in sports, physical therapy, Berne.Br J Sports Med. 2016 Jul;50(14):853-64.

6) Kaplan Y, Witvrouw E. When it is safe to return to sport after ACL reconstruction? Reviewing the criteria. Sports Health. 2019 Jul/Aug;11(4):301-305.

7) Hege Grindem, Lynn Snyder-Mackler, May Rsberg et al. Simple decision rules reduce reinjury risk after anterior cruciate ligament: the Delaware-Oslo ACL Cohort Study. Br J Sports Med. 2016 Jul;50(13):804-8.

8) Sean J Meredith et al. return to sport after anterior cruciate ligament injury: Panther ACL injury return to sport consensus group. Knee Surg Sports Traumatol Arthrosc. 2020 Aug;28(8):2403-2414.

9) Ilio K et al. Early return to sports to continue the season after ACL injury is not recommended for student athletes.Prog Rehabil Med. 2021.

10) Takata et al.10 Conscious performance and arthroscopic findings in athletes with ACL injuries treated via conservative therapy during the competitive season. J Ortho Surg 2017 Jan;25(1)

11) Sonnery-Cottet B, Colombet P. Partial tears of the anterior cruciate ligament. Orthop Traumatol Surg Res. 2016 Feb;102(1 Suppl): S59-67.

12) Neyret P, Donell ST, Dejour H. Results of partial meniscectomy related to the state of the anterior cruciate ligament. J Bone Joint Surg Br. 1993 Jan;75(1):36-40

13) Neyret P, Donell ST, DeJour D, DeJour H. Partial meniscectomy and anterior cruciate ligament rupture in soccer players : a study with minimum of 20-year followup. Am J Sports Med. 1993 May-Jun;21(3):455-60.

14) Louboutin et al. Osteoarthritis in patients with anterior cruciate ligament rupture: a review of risk factors. The Knee 2009

 


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